Chapitre 9

Tous les gouvernements sont aux mains de menteurs et rien de ce qu’ils disent ne doit être cru.

Paroles attribuées à un journaliste humain de l’ancienne époque.

 

Traversant d’un pas vif le toit de la spirale de parking proche de son bureau de Liaitrice Principale, Jedrik ne pouvait s’empêcher de se dire, en ce milieu d’après-midi maussade, qu’elle était sur le point d’user pour la dernière fois d’un privilège encore attaché à sa fonction. Dans le bâtiment situé sous ses pieds étaient garés, chacun au bout de son grappin au milieu du plateau convoyeur, les véhicules particuliers des marchands de pouvoir et de leurs favoris. Les appareils allaient de la corvelle surpuissante, réservée aux hautes cimes de la hiérarchie et lourde de blindages et d’armements superfétatoires, au minuscule pliqueur noir attribué à des fonctionnaires comme elle. L’ex-favorite Jedrik ne se faisait guère d’illusions. Elle allait monter aujourd’hui pour la dernière fois dans la machine qui lui avait épargné si souvent les bousculades et les désagréments des voies roulantes souterraines.

Elle avait soigneusement minuté chaque phase de son départ. Ceux qui avaient droit aux corvelles n’avaient pas dû encore attribuer à quelqu’un d’autre son pliqueur ni son chauffeur. Ce dernier, Havvy, était au demeurant au centre de ce dernier voyage, qui s’insérait dans un espace chronologique extrêmement réduit.

Jedrik sentait les événements s’enchaîner à une allure accélérée. Ce matin même, elle avait déchaîné la mort contre une cinquantaine d’Humains. La boule de neige était en train de devenir une avalanche.

La terrasse du parking avait été sommairement réparée après l’attentat récent commis par trois guérilleros borduriers. Sans ralentir le pas, Jedrik enjamba quelques restes de décombres pour gagner la cage d’accès au parking. Devant l’entrée, elle s’arrêta pour regarder en direction de l’ouest, où s’élevaient les parois montagneuses qui entouraient Chu. Le soleil, déjà sur le point de sombrer derrière les falaises, jetait un éclat doré légèrement voilé par l’écran laiteux du Mur de Dieu. Dans l’état d’angoisse réceptive où elle se trouvait depuis peu, ce n’était pas un soleil qu’elle voyait, mais un œil maléfique qui l’observait d’en haut.

À l’heure qu’il était, les rotoclasseurs de son bureau avaient dû disparaître en cendres à la suite de l’intrusion intempestive des crapauds laboristes. Il fallait compter un certain temps avant qu’ils fassent leur rapport et que celui-ci soit répercuté dans les corridors de la hiérarchie, jusqu’à ce que quelqu’un ose prendre la responsabilité d’une décision.

Elle luttait pour empêcher ses pensées de se disloquer en ombres tremblantes. Après la découverte des rotoclasseurs, les autres indices allaient s’accumuler rapidement. L’entourage de l’Electeur commencerait à avoir de plus en plus de soupçons. Mais cela faisait partie des plans de Jedrik, aux multiples facettes superposées.

Abruptement, elle pénétra dans l’accès, se laissa descendre jusqu’à son niveau de parking et repéra, au-dessus des passerelles, son pliqueur qui se balançait au milieu des autres. Havvy était assis sur le capot incliné, les épaules rentrées dans une attitude qui le caractérisait. Parfait. Il se comportait comme elle l’avait espéré. Elle allait maintenant devoir faire preuve d’une certaine finesse, mais elle ne s’attendait à rencontrer aucun obstacle réel chez quelqu’un d’aussi fruste et aussi transparent que Havvy. Ce qui ne l’empêcha pas de laisser sa main droite dans la poche où elle avait glissé une arme minuscule mais efficace. Elle ne pouvait maintenant se permettre de se laisser arrêter par rien. Elle avait soigneusement choisi et formé ses lieutenants, mais aucun n’arrivait réellement à la hauteur de ses propres capacités. La force armée constituée en prévision de ce moment même avait besoin d’elle pour recevoir l’impulsion qui peut-être arracherait la victoire aux jours prochains.

Entre-temps, me laisser flotter comme une feuille au-dessus de l’ouragan.

Havvy était en train de lire un livre, une de ces choses pseudo-profondes auxquelles il affectait régulièrement de s’intéresser mais qu’il ne comprenait pas. Tout en lisant, il se tiraillait la lèvre inférieure entre le pouce et l’index et présentait l’image de quelqu’un d’absorbé dans de profondes méditations intellectuelles. Mais ce n’était qu’une image, elle le savait. Il ne donnait pas signe de l’avoir entendue approcher. Un léger courant d’air avait tendance à faire tourner les pages, qu’il maintenait d’un doigt. Elle n’était pas encore assez près pour lire le titre, mais supposait qu’il figurait au nombre des ouvrages à l’index qui circulaient clandestinement, comme c’était le cas pour la plus grande partie de ses lectures. Cela constituait d’ailleurs pour lui à peu près le summum en matière de risques qu’il était prêt à prendre. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était auréolé d’un certain prestige. Encore une image qu’il voulait donner.

Elle était maintenant assez près pour distinguer sa physionomie dans tous les détails. Il aurait dû lever la tête à son approche, mais continuait de s’absorber dans sa lecture. Il avait de grands yeux bruns qu’il était visiblement persuadé de savoir employer avec une trompeuse innocence. Mais sa véritable innocence était bien plus profondément ancrée que ses pusillanimes tentatives de tromperie. Jedrik n’avait aucune difficulté à imaginer la scène au cas où l’un des agents de Broey aurait surpris Havvy dans cette posture.

« Un ouvrage à l’index ? » aurait-il demandé en se servant de ses yeux bruns jusqu’à la limite de leur inefficace innocence. « Je ne pensais pas qu’il y en avait encore en circulation. J’étais sûr que vous les aviez tous brûlés. C’est quelqu’un qui me l’a donné dans la rue quand je lui ai demandé ce qu’il était en train de lire. »

Et l’espion de l’Electeur aurait continué en dissimulant mal une moue de sarcasme : « Vous n’avez pas eu des doutes en recevant un tel présent ? »

Si les choses devaient un jour en arriver là, des difficultés s’accumuleraient pour Havvy dans des voies qu’il était incapable de soupçonner. Ses yeux bruns innocents ne tromperaient pas plus les crapauds de l’Electeur qu’ils n’étaient capables de la tromper elle-même. Dans cette optique, elle avait une autre interprétation à donner au fait que c’était Havvy qui lui avait apporté la clé du Mur de Dieu, ce fameux Jorj X. McKie.

Havvy l’avait abordée avec son air de conspirateur aux gros sabots :

« La Bordure veut nous envoyer un nouvel agent. Nous avons pensé que, peut-être, vous seriez… »

Chaque information qu’il avait divulguée alors à propos de cette nouvelle si bizarrement annoncée, chaque question à laquelle il avait répondu avec sa candeur transparente, avaient accru la tension, l’étonnement et la jubilation qui l’avaient saisie.

Elle repensait à tout cela en s’approchant de lui. Il dut sentir sa présence, car il leva les yeux. En la reconnaissant, il eut une réaction assez inattendue : un mouvement de retrait à demi esquissé, comme s’il était sur ses gardes. Il referma son livre.

« Vous êtes en avance. »

« Comme je vous l’avais dit. »

Cette attitude nouvelle chez Havvy l’exaspérait et réveillait en elle d’anciens doutes. Il ne lui restait plus que l’attaque comme ligne d’action.

« Seuls les crapauds ne rompent jamais leurs habitudes », dit-elle.

Le regard de Havvy fit un bond à gauche, à droite, et revint se poser sur elle. Il ne s’était pas attendu à une telle audace de la part de Jedrik. Le risque, cette fois-ci, était trop précis à son goût. L’Electeur avait des espions partout. La réaction de Havvy, cependant, avait appris à Jedrik ce qu’elle voulait savoir. Elle fit un signe impatient en direction du pliqueur.

« Allons-y. »

Il mit le livre dans sa poche, se laissa glisser par terre et lui ouvrit la porte. Ses gestes étaient peut-être un peu trop brusques. La patte boutonnée de l’une de ses manches à rayures vertes se prit dans la poignée d’une portière. Il se dégagea avec une précipitation maladroite.

Jedrik se glissa dans le harnais côté passager. Havvy fit claquer la portière, peut-être un peu trop fort. Il était nerveux. Parfait. Il prit sa place devant la barre de contrôle à sa gauche et lui parla sans cesser de lui présenter son profil.

« Où allons-nous ? »

« Prenez la direction de l’appartement. »

Il eut une légère hésitation, puis activa le convoyeur à grappins. Le pliqueur oscilla, se mit en mouvement et glissa lentement sur la rampe d’accès à la rue.

Lorsqu’ils émergèrent de l’obscurité de la spirale de parking, avant même que le grappin ne les lâche pour les laisser se propulser par leurs propres moyens, Jedrik avait arrêté sa décision de ne pas regarder en arrière. Le bâtiment des Liaiteurs faisait désormais partie de son passé. Ce n’était plus qu’un assemblage de pierres grises parmi tant d’autres édifices géants, avec çà et là des trouées qui s’ouvraient sur les falaises et les différents bras du fleuve. Cette partie de son existence, elle était en train de l’exciser. Mieux valait que l’opération fût faite proprement. Elle devait avoir les idées claires en prévision de la suite. La suite, c’était tout simplement la guerre.

Ce n’était pas souvent qu’une force de guerre surgissait des masses dosadies pour disputer sa place aux structures du pouvoir. La force que Jedrik avait levée allait insuffler la peur à des millions d’individus ; néanmoins, pour le moment, c’étaient les craintes d’une poignée de personnes qui l’intéressaient, et le premier concerné était Havvy.

Il pilotait avec sa maîtrise habituelle, parfaitement compétent mais sans plus. Cela n’empêchait pas ses phalanges d’être blanches autour de la barre tandis que ses muscles saillaient sous sa peau. C’était bien le Havvy qu’elle connaissait qui se trouvait encore à côté d’elle, et non une de ces entités maléfiques et perfides enrobées de chair dosadie. Là résidait l’utilité de Havvy, et aussi son point faible. Il portait la marque de Dosadi. Il était souillé, corrompu. C’était une chose qui ne pourrait pas être admise chez McKie.

Havvy semblait posséder assez de bon sens pour la craindre. Tout en observant le paysage devant elle, Jedrik se plaisait à laisser monter la tension. Il y avait peu de circulation. Tous les véhicules étaient lourdement blindés. Derrière chaque tube d’accès, on devinait dans l’ombre des yeux aux aguets et des armes pointées. Mais tout paraissait normal. Il était encore trop tôt pour que retentisse l’hallali derrière une Liaitrice en fuite.

Ils franchirent sans problème le premier poste fortifié. Les gardes, nonchalants mais efficaces, jetèrent à peine un coup d’œil au pliqueur et aux brassards d’identification de ses occupants. Ce n’était qu’une opération de routine.

Le danger, avec les activités de routine, se disait-elle, c’était qu’elles devenaient très rapidement ennuyeuses. L’ennui atrophie les sens. C’était une chose contre laquelle ses collaborateurs et elle mettaient sans cesse en garde les combattants qu’ils étaient en train de former. L’armée nouvelle qui allait surgir sur la scène dosadie provoquerait peut-être quelques surprises.

À mesure qu’ils s’éloignaient du centre, les rues devenaient plus larges et plus dégagées. On commençait à voir quelques jardins ornementaux, aux plantes vénéneuses mais splendides. Le feuillage, dans l’ombre, avait des couleurs pourpres. Entre les bouquets de végétation, la terre nue était perlée de gouttelettes corrosives, une manière entre les autres sur Dosadi de protéger son territoire. À ceux qui voulaient apprendre, Dosadi avait beaucoup à donner.

Jedrik se tourna de côté pour mieux étudier Havvy. Il semblait se concentrer sur ses opérations de pilotage comme s’il avait mis de l’énergie en réserve. C’était, à vrai dire, la seule chose qu’il savait faire. Il paraissait au courant de ses propres lacunes et se rendait certainement compte que beaucoup se demandaient comment il avait eu ce poste de chauffeur, même à un échelon moyen, alors que les garennes regorgeaient d’individus prêts à tout pour monter d’un pas dans la hiérarchie. Visiblement, Havvy détenait des renseignements secrets qu’il monnayait sur un marché occulte. Il fallait qu’elle mette le doigt maintenant sur ce marché occulte. Sa démarche devait paraître légèrement maladroite, comme si les événements de la journée l’avaient troublée.

« Est-ce qu’on peut nous entendre ? » demanda-t-elle.

Cela ne faisait aucune différence en ce qui concernait ses plans, mais une telle question trahissait précisément le genre de faiblesse qu’il allait interpréter exactement comme elle le désirait.

« J’ai déconnecté le système de transmission comme la dernière fois », dit-il. « Si quelqu’un vérifie, on croira que c’est une panne. »

Il n’y a que toi pour croire ça, pensa-t-elle. C’était exactement le niveau de réponse infantile qu’elle attendait de lui. Mais elle releva le gambit, en le sondant avec une curiosité non feinte :

« Vous pensiez que nous aurions à discuter en privé aujourd’hui ? »

Il faillit lui jeter un regard stupéfait, mais se reprit en répondant :

« Non ; ce n’était qu’une précaution. Mais j’ai d’autres informations à vous vendre. »

« Vous m’avez donné ce renseignement sur McKie. »

« Uniquement pour vous démontrer ma valeur. »

Oh, Havvy ! Pourquoi essayes-tu encore ?

« Vous avez décidément des qualités insoupçonnées », fit-elle en prenant bien soin de ne pas le laisser soupçonner le premier degré de son ironie.

« Et quelle est cette information que vous voulez vendre ? »

« Elle concerne McKie. »

« Ah, vraiment ? »

« A-t-elle de la valeur pour vous ? »

« Serais-je votre unique marché, Havvy ? »

Les muscles de ses épaules firent saillie tandis qu’il resserrait ses doigts autour de la barre de contrôle. Les tensions contenues dans sa voix ne pouvaient laisser place à aucune erreur d’interprétation.

« Livrée au bon endroit, l’information que je possède pourrait me garantir au moins cinq ans de vie sans problèmes, ni de nourriture, ni de logement, ni rien d’autre. »

« Pourquoi ne la vendez-vous pas là, dans ce cas ? »

« Je n’ai jamais dit que je le pouvais. Les acheteurs ne se ressemblent pas tous. »

« Il y a aussi ceux qui prennent sans payer ? »

Il n’avait pas besoin de répondre, et ce fut mieux ainsi. Une barrière venait de tomber devant le pliqueur, forçant Havvy à s’arrêter brusquement. L’espace d’un instant, la peur saisit Jedrik et elle sentit s’enclencher les réflexes qui l’empêchaient de se trahir. Puis elle comprit qu’il s’agissait d’une opération de simple routine destinée à laisser passer un convoi de pièces détachées qui était sur le point de leur couper la route.

Jedrik jeta un coup d’œil par la vitre de droite. Il y avait, comme toujours, d’interminables travaux de consolidation et de réparation des murs de la cité au niveau immédiatement au-dessous. Si sa mémoire était bonne, il s’agissait de la huitième barrière de défense pour le secteur sud-ouest. Le vacarme des marteaux qui cassaient les cailloux emplissait les rues. Une fine poussière grise flottait partout. Il y avait dans l’air cette odeur de métal et de pierre brûlée à laquelle il était difficile d’échapper dans la cité de Chu. C’était l’odeur du poison subtil que Dosadi n’avait jamais cessé de distiller à l’intention de ses habitants. Jedrik ferma la bouche et respira du nez par petites saccades tout en notant distraitement que l’équipe au travail était composée uniquement d’Humains des garennes, parmi lesquels il y avait un tiers de femmes. Aucune d’entre elles ne paraissait âgée de plus de quinze ans. Il y avait déjà dans leur regard cet éclat dur et alerte que les gens nés dans les garennes gardaient toute leur existence.

Un jeune contremaître passa en entraînant dans son sillage un subalterne âgé aux épaules voûtées et aux cheveux gris clairsemés. Le vieillard le suivait avec une lenteur délibérée tandis que le contremaître impatient lui faisait signe d’accélérer le pas. Les subtiles implications de la relation ainsi révélée devaient échapper totalement à Havvy, se dit Jedrik. Le contremaître passa devant une ouvrière et la toisa quelques instants en hochant la tête. L’ouvrière s’en aperçut et redoubla d’application avec son marteau. Le contremaître échangea quelques mots avec son subalterne, qui alla parler à la jeune femme. Elle sourit, regarda le jeune homme et hocha la tête. Les deux hommes s’éloignèrent alors sans se retourner. Le manège aurait entièrement échappé à l’attention de Jedrik si la jeune femme n’avait ressemblé de manière frappante à quelqu’un qu’elle avait connu… une camarade morte maintenant, comme tant d’autres.

Une cloche tinta et la barrière fut levée.

Havvy passa au ralenti devant le contremaître en lui adressant un regard qui n’eut aucun écho. Jedrik en conclut que le contremaître s’était depuis longtemps formé une opinion sur les occupants du pliqueur.

Elle reprit la conversation avec Havvy là où elle l’avait laissée.

« Qu’est-ce qui vous fait croire que vous pourriez tirer de moi plus que de quelqu’un d’autre ? »

« Pas plus… mais avec vous, je crois qu’il y a moins de risques. »

Sa voix, cet innocent instrument qui en disait si long sur Havvy, avait les accents de la sincérité. Elle secoua la tête.

« Vous aimeriez que ce soit moi qui prenne le risque de vendre en plus haut lieu ? »

Au bout d’un assez long moment de silence, Havvy répondit :

« Vous connaissez une manière de procéder qui soit moins dangereuse pour moi ? »

« Je serais bien obligée d’avoir recours à vous quelque part en chemin, pour vérifier vos dires. »

« Mais je me trouverais alors sous votre protection. »

« Pourquoi vous donnerais-je ma protection, si vous ne m’êtes plus utile ? »

« Qu’est-ce qui vous fait croire que c’est la seule information que je suis capable de vous procurer ? »

Jedrik se permit un soupir, tout en se demandant pourquoi elle continuait ce jeu futile.

« Nous pourrions nous heurter tous les deux à quelqu’un qui a l’habitude de prendre sans payer, Havvy. »

Il ne répondit pas. Sans doute avait-il envisagé cette possibilité dans ses projets les plus insensés.

Ils passèrent devant une bâtisse en briques brunes qui s’élevait à leur gauche. La voie qu’ils suivaient la contournait jusqu’à une place grouillante de monde au niveau immédiatement inférieur. Sur la droite, entre deux immeubles plus élevés, la perspective s’étendait jusqu’au fleuve. Ils continuèrent à grimper entre deux rangées de constructions de plus en plus hautes qui les enserraient comme un canon.

Comme elle s’y attendait, Havvy ne put supporter son silence. « Que comptez-vous faire ? » demanda-t-il.

« Je suis prête à vous donner en paiement une année entière de ma protection, pour ce qu’elle peut valoir. »

« Mais ce n’est pas… »

« C’est à prendre ou à laisser. »

Le ton déterminé dont elle s’était servie ne pouvait laisser subsister aucun doute, mais il ne se serait pas appelé Havvy s’il n’avait pas essayé une nouvelle fois. C’était chez lui un trait rédhibitoire.

« On ne pourrait pas discuter de… »

« Pas question de discuter de quoi que ce soit ! Si vous n’acceptez pas mon prix, je me servirai peut-être sans payer. »

« Ça ne vous ressemble pas. »

« Qu’est-ce que vous en savez ? Des informateurs comme vous… je peux en avoir pour une bouchée de pain. »

« Vous êtes dure en affaires. » Par compassion, elle voulut lui donner une petite leçon :

« C’est une condition nécessaire pour survivre. Mais nous devrions peut-être oublier ça. Votre information est probablement quelque chose que je connais déjà, ou qui ne peut pas me servir. »

« Elle vaut bien plus que ce que vous m’offrez en échange. »

« C’est vous qui le dites. Mais ie vous connais bien, Havvy. Vous n’êtes guère capable de prendre de gros risques. Des petits, parfois, mais jamais de gros. Il est impossible que vous ayez un renseignement vraiment important à me vendre. »

« Si seulement vous saviez ! »

« Ça ne m’intéresse même plus, Havvy. »

« Alors là, c’est trop fort ! Vous marchandez pendant une heure, et puis vous retirez vos billes quand je… »

« Je n’ai jamais marchandé ! » s’écria Jedrik. Il ne comprenait donc rien à rien ?

« Mais vous… »

« Écoutez-moi attentivement, Havvy. Vous n’êtes qu’un petit garçon persuadé d’avoir découvert un secret important. Ce n’est pas grand-chose en réalité, mais c’est assez gros pour vous faire peur. Vous êtes incapable de trouver le moyen de vendre ce renseignement sans mouiller votre petite tête. Alors, vous venez me trouver. Vous croyez que je vais vous servir d’intermédiaire. Vous vous faites des illusions. »

Comme elle le savait, la rage empêchait Havvy de profiter de ce qu’elle disait.

« Je prends beaucoup de risques ! »

Elle ne tenta même pas de dissimuler l’amusement qui était dans sa voix : « Je sais, Havvy, mais jamais au moment où vous le croyez. Tenez, en voilà un, de risque à prendre. Dites-moi quelle est votre précieuse information. Jouons cartes sur table. Je serai la seule juge. Si je pense que vos révélations valent plus que ce que je vous ai offert, je vous payerai davantage. Mais si je possède déjà cette information, ou si elle ne m’est d’aucune utilité, vous n’en tirerez rien. »

« Les avantages sont uniquement de votre côté ! » « Comme il se doit. »

Jedrik observa de nouveau les épaules, le port de la tête et les muscles tendus du pilote. Lui qui-se prétendait laboriste, il ne savait même pas que le silence était le gardien de l’U.L. : Apprends le silence et tu apprendras à entendre. L’Union Laboriste s’engageait rarement la première. Havvy était si loin des traditions U.L. qu’on eût dit qu’il n’avait aucune expérience des garennes. En fait, il n’en avait eu aucune jusqu’à ce qu’il fût trop vieux pour apprendre. Cela ne l’empêchait pas de parler de ses contacts borduriers, comme s’il était à la tête d’un réseau de conspirateurs. Il était titulaire d’un emploi pour lequel il était à peine compétent. Et tout ce qu’il faisait trahissait sa certitude de ne rien révéler sur lui d’essentiel lorsqu’il avait affaire à une personne de la stature de Jedrik.

À moins que son art ne fût merveilleusement consommé.

Elle ne pouvait croire à cette dernière hypothèse mais, étant soupçonneuse de naissance, ne pouvait tout à fait l’écarter. C’était cela, en plus des lacunes évidentes dans son personnage, qui l’avait retenue d’utiliser Havvy comme clé du Mur de Dieu.

Ils passaient maintenant devant le Quartier général de l’Electeur. Elle se tourna pour contempler l’escarpement rocheux. Ses pensées étaient un buisson épineux où chaque conjecture qu’elle formulait à propos de Havvy appelait un réflexe protecteur particulier. Un réflexe non dosadi. Elle regarda passer les files d’ouvriers qui descendaient les marches conduisant au tube d’accès de l’immeuble. Son problème vis-à-vis de Havvy présentait une curieuse analogie avec celui auquel elle savait que Broey se heurterait lorsqu’il faudrait prendre une décision à l’encontre d’une ex-liaitrice nommée Keila Jedrik. Elle avait analysé les décisions de Broey, avec un degré de concentration qui frôlait les limites de ses capacités. Ce faisant, elle avait opéré en elle des changements fondamentaux qui l’avaient fait devenir étrangement non dosadie. Ils ne trouveraient plus jamais Keila Jedrik à la Poldem. Pas plus qu’ils ne trouveraient Havvy ou ce fameux McKie, là-bas. Mais si elle était capable de faire cela…

La circulation pédestre dans cette zone périlleuse avait forcé Havvy à ralentir considérablement. D’autres travailleurs émergeaient de la Sortie N°1, pressés comme si des affaires urgentes les attendaient. Elle se demanda brièvement s’il y avait dans la foule quelques-unes des cinquante personnes qu’elle avait condamnées. Je ne dois pas laisser errer mes pensées.

Flotter au vent comme une feuille consciente était une chose, mais elle n’osait pas pénétrer d’elle-même dans l’ouragan… pas encore. Elle se tourna de nouveau vers Havvy, boudeur et silencieux.

« Dites-moi une chose, Havvy. Vous est-il déjà arrivé de tuer quelqu’un ? »

Les épaules du pilote se raidirent.

« Pourquoi posez-vous cette question ? »

Elle le regarda de profil durant un laps de temps approprié, comme si elle méditait cette demande elle-même.

« Je pensais que vous me répondriez. Mais j’ai compris que ce ne serait pas le cas. Ce n’est pas la première fois que je commets cette erreur. »

Une fois de plus, la leçon échappa à Havvy.

« Vous avez l’habitude de poser cette question à beaucoup de gens ? »

« Cela ne vous concerne plus maintenant. »

Elle dissimulait une profonde tristesse.

Havvy n’avait pas le don de lire les plus élémentaires indicateurs de surface. Il pactisait avec l’inutile.

« Rien ne peut justifier une telle intrusion dans ma… »

« Du calme, petit homme ! On ne vous a donc jamais rien appris ? La mort est souvent le seul moyen d’invoquer une réponse appropriée. »

Havvy prit cela, comme elle l’avait escompté, pour une réponse encore plus dénuée de scrupules que les précédentes. Lorsque, de nouveau, il l’épia du regard, elle haussa un sourcil avec un sourire cynique. Havvy continua de partager son attention entre la rue et elle, gêné, appréhensif. Il pilotait de manière nerveuse, dangereuse.

« Attention à ce que vous faites, imbécile ! »

Il se concentra davantage sur les dangers de la rue, comme s’il avait décidé de leur accorder momentanément la priorité.

Lorsqu’il tourna de nouveau son regard vers elle, elle lui sourit, le sachant incapable de déceler dans cette réaction un changement mortel. Il se demandait déjà si elle allait attaquer, mais se doutait qu’elle ne le ferait pas pendant qu’il pilotait. Il n’avait pas de certitude, néanmoins, et cela le rendait encore plus transparent. Havvy n’avait rien de génial. Une seule chose sur lui était certaine : il venait des régions inconnues situées derrière le Mur de Dieu, tout comme McKie. Qu’il fût ou non au service de l’Electeur importait peu, après tout. En fait, elle doutait de plus en plus que Broey pût se servir d’un outil aussi dangereux – et défectueux. Le plus impudent des simulateurs eût été incapable d’atteindre un tel degré de perfection en laissant croire qu’il ignorait les leçons de survie données par Dosadi. Il n’aurait tout simplement pas survécu. Seul quelqu’un d’authentiquement innocent comme Havvy avait des chances de parvenir à l’âge adulte, pour la simple raison qu’il constituait une curiosité, une source possible de renseignements intéressants. Intéressants ne voulant pas nécessairement dire utiles.

Ayant décidé de laisser la résolution du problème Havvy en suspens le plus longtemps possible, et de tirer de lui jusqu’à la moindre parcelle d’utilité, elle connaissait exactement la route à suivre. Quels que fussent les protecteurs qui veillaient sur Havvy, les questions de Jedrik, tout en lui conservant l’entière liberté de ses options, exerçaient sur lui une pression savamment modulée.

« Quelle est cette fameuse information ? » demanda-t-elle.

Sentant que chacune de ses réponses était maintenant vitale, Havvy arrêta le pliqueur le long d’une façade aveugle et la regarda longuement.

Elle attendit.

« Il s’agit de McKie… » Il déglutit péniblement, puis ajouta : « Il vient de l’autre côté du Mur de Dieu. »

Elle se laissa secouer par un rire convulsif qui dépassa la mesure qu’elle s’était fixée. Durant un instant, elle perdit le contrôle d’elle-même, ce qui eut pour effet de la calmer aussitôt. Même devant Havvy, elle ne pouvait se permettre d’abaisser ainsi ses défenses.

Le pilote était furieux.

« Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? »

« Vous. Comment avez-vous pu imaginer une seconde que je ne saurais pas reconnaître quelqu’un qui n’est pas né sur Dosadi ? Mon pauvre petit homme, comment avez-vous survécu vous-même ? »

Cette fois-ci, il ne se méprit pas sur le sens réel de ses paroles. Il dut se rabattre sur sa dernière ressource et répondit par là même à la question de Jedrik.

« Ne sous-estimez pas ma valeur. »

Évidemment… La valeur inconnue de « X ». Il y avait en outre dans sa voix une menace latente qu’elle n’avait jamais perçue avant. Havvy pouvait-il invoquer des protections situées de l’autre côté du Mur de Dieu ? Cela paraissait difficile à admettre, étant donné les circonstances, mais il ne fallait écarter aucune hypothèse. Ce n’était pas avec un point de vue étroit qu’elle allait résoudre son autre problème, le seul qui comptait. Des êtres capables d’entourer une planète entière d’une barrière infranchissable devaient disposer de ressources qu’elle ne pouvait même pas imaginer. Certains de ces êtres circulaient à volonté entre Dosadi et l’extérieur, comme s’il n’y avait pas de barrière pour eux ; de plus, les voyageurs venus de « X » avaient le pouvoir de changer de corps. Cette terrible vérité ne devait jamais être perdue de vue. C’était précisément cela qui avait poussé les ancêtres de Keila Jedrik à préméditer la naissance d’une personne comme elle.

De telles considérations la laissaient vulnérable, presque désarmée à l’idée des multiples inconnues qui jalonnaient son chemin. Havvy était-il toujours Havvy ? Elle faisait confiance à ses perceptions qui lui répondaient : oui. Havvy était un espion, une diversion, une distraction. Mais il était aussi quelque chose d’autre qu’elle ne pouvait sonder. C’était exaspérant. Elle lisait chaque nuance de ses réactions, et pourtant de multiples questions demeuraient sans réponse. Comment comprendre ces créatures venues de l’autre côté du Voile Céleste ? Elles étaient certes transparentes à des yeux dosadis, mais leur transparence même déroutait.

D’un autre côté, comment ces « X » pouvaient-ils espérer comprendre (et par conséquent devancer) quelqu’un comme Keila Jedrik ? Tous ses sens affirmaient que l’unique chose que percevait Havvy était l’image superficielle qu’elle voulait bien donner d’elle-même. S’il l’espionnait, il ne pouvait aller rapporter que ce qu’elle désirait qu’il voie. Cela dit, l’importance de l’enjeu dans une telle partie exigeait une prudence qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de déployer jusque-là. Elle se représentait très bien, par contre, l’arène aux répercussions explosives, et c’était suffisant pour l’emplir d’une joie sombre. L’idée qu’une marionnette dosadie pût songer à se révolter contre les « X », et même comprendre pleinement la nature de sa rébellion, ne pouvait certainement pas les effleurer. Ils étaient aussi confiants en leur supériorité qu’elle était méfiante de tout. Elle ne connaissait aucune méthode pour cacher ses mouvements à ceux qui l’épiaient de l’autre côté du Mur de Dieu comme elle les cachait à ses compatriotes dosadis. Les « X » possédaient des techniques auxquelles il était pratiquement impossible de se soustraire. Ils devaient connaître la vérité sur les deux Keila Jedrik. Elle n’espérait qu’une seule chose, c’était qu’ils ne puissent pas lire ses pensées les plus secrètes, mais seulement celles de la surface, qu’elle avait choisi de leur révéler.

Jedrik ne quittait pas Havvy du regard tandis qu’elle ruminait ces pensées. Elle ne faisait pas le moindre mouvement qui pût révéler la nature de ses préoccupations. Après tout, c’était là le plus beau cadeau de la planète Dosadi à ceux qui avaient survécu sur son sol.

« Votre renseignement ne vaut rien », dit-elle.

« Vous le saviez déjà ! » fit-il, accusateur.

Qu’espérait-il gagner dans ce genre de gambit ? Elle se demandait – et ce n’était pas la première fois – s’il se pouvait que Havvy fût vraiment représentatif des êtres qui l’envoyaient. Ressemblait-il à ce qu’ils avaient de meilleur ou de pire ? Faisaient-ils délibérément confiance à un incapable ? C’était plutôt difficile à croire. Pourtant, comment un innocent aussi incompétent que lui était-il arrivé au niveau de pouvoir que le Mur de Dieu impliquait ? Les « X » étaient-ils les descendants dégénérés d’anciennes créatures supérieures ?

Même lorsque sa propre survie en dépendait, Havvy était incapable de garder le silence.

« Si vous n’étiez pas déjà au courant, pour McKie… alors, c’est que… vous ne me croyez pas ! »

C’était trop. Même pour Havvy, c’était beaucoup trop, et elle décida : Malgré les pouvoirs inconnus des êtres qui l’envoient, il faudra qu’il meure. Il souille l’air qu’il respire. Il ne faut pas laisser se propager une telle incompétence.

Ce qu’il y avait à faire serait accompli sans passion, pas à la manière d’un Gowachin extirpant ses propres têtards mais avec une sorte de détermination clinique sur laquelle les « X » ne pourraient pas se tromper.

Pour le moment, Havvy avait une tâche précise à accomplir : la conduire à l’endroit convenu. Plus tard, en prenant un soin discret de brouiller les pistes, elle ferait ce qui était nécessaire. Ensuite, elle envisagerait l’exécution du reste de son plan.

 

Dosadi
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